Pour une nouvelle approche des ressources naturelles
Elinor OSTROM
Commission Universite Palais (7 juin 2010)
Extrait de l’avant-propos
Il me serait difficile de dire depuis quand je travaille sur cette étude. Si l’on me demandait quand j’ai commencé à étudier les problèmes d’action collective rencontrés par des individus utilisant des ressources communes, resituer le commencement serait plus aisé. Au début des années 1960, je participai à un séminaire avec Vincent Ostrom, qui, deviendrait plus tard, mon plus proche collègue et mon mari. Ce séminaire était consacré au développement d’institutions liées aux ressources en eau en Californie du Sud. Je commençai mon mémoire en m’intéressant à l’entreprenariat impliqué dans le développement d’une série d’entreprises publiques afin de stopper l’intrusion d’eau saline dans une nappe aquifère située sous un secteur de la région métropolitaine de Los Angeles. Un de mes camarades étudiants, Louis Weschler, menait une étude parallèle sur une nappe adjacente, laquelle faisait l’objet de mesures institutionnelles différentes dans le cadre de la lutte contre des problèmes similaires. Tandis que Weschler et moi-même terminions nos travaux, il apparut que, pour chaque nappe, les mesures institutionnelles adoptées avaient permis aux producteurs d’eau d’éviter la perte économique catastrophique qu’aurait occasionnée l’inondation des deux nappes par l’océan Pacifique (E. Ostrom, 1965 ; Weschler, 1968).
A la fin des années 1960, Vincent et moi participâmes au Programme de recherche des Grands Lacs initié par le Batelle Mémorial Institute (V. Ostrom et E. Ostrom, 1977b), mais la majeure partie de mon travail, en tant que jeune enseignante, se focalisait sur des problèmes liés à la mise en place de services urbains et d’économies publiques dans les zones métropolitaines. En 1981, Paul Sabatier, qui fut mon collègue pendant un an au Centre de recherche interdisciplinaire de l’Université de Bielefeld, me demanda d’organiser un séminaire sur le thème de «l’apprentissage organisationnel». J’utilisai, comme exemple d’apprentissage organisationnel, l’ensemble de règles que les exploitants des nappes aquifères californiennes avaient développé. Paul voulut alors savoir pourquoi j’étais si certaine que les systèmes que j’avais étudiés 15 ans plus tôt étaient toujours opérationnels et fonctionnaient de manière performante. À l’époque, je n’eus aucune réponse satisfaisante à apporter à cette question, si ce n’est que les institutions avaient été si bien taillées sur mesure pour le contexte local que je supposais qu’elles avaient survécu et se portaient bien.
Présentation de l’éditeur
La question de la gouvernance des ressources naturelles utilisées conjointement par de nombreux individus revêt une importance croissante pour les analystes politiques. Tant la nationalisation que la privatisation ont été mises en avant mais ni l État ni le marché n ont été uniformément en mesure de résoudre les problèmes liés aux ressources communes.
Remettant en question les fondements de l analyse politique telle qu appliquée aux ressources naturelles, Elinor Ostrom fournit dans cet ouvrage un ensemble unique de données empiriques afin d étudier les conditions dans lesquelles des problèmes de ressources communes ont été résolus, de manière satisfaisante ou non.
Le Dr Ostrom décrit d abord les trois modèles les plus fréquemment utilisés en tant que fondements pour préconiser des solutions se basant sur l État ou le marché. Elle passe ensuite en revue les alternatives théoriques et empiriques à ces modèles afin d illustrer la diversité des solutions possibles. Dans les chapitres suivants, elle fait appel à l analyse institutionnelle en vue d examiner diverses stratégies fructueuses ou infructueuses de gouvernance des biens communs.
Contrairement à ce qu affirme l argument de la « tragédie des biens communs », les problèmes de ressources communes peuvent être résolus par des organisations volontaires plus efficacement que par un État coercitif. Parmi les cas considérés figurent la tenure communale de prairies et de forêts, des communautés d irrigation, des droits relatifs à l eau ainsi que des sites de pêche.
La gouvernance des biens communs apporte une contribution majeure à la littérature analytique et à notre conception de la coopération humaine.